Le XVIIe siècle a été pour
la littérature française un époque merveilleuse, qui commence à
avec Malherbe, Regnier et Guez de Balzac, et, passant par les deux
périodes les plus brillantes, celle de la jeunesse ou de Descartes,
de Corneille, de Pascal, et de Molière, et celle de la maturité
ou de Boileau, de Racine, de La Fontaine, de Sévigné,
de Bossuet, et de Bourdaloue, achève sa verte et vigoureuse
vieillesse avec La Bruyère, Fénelon, et Massillon.
Première période (1610-1660)
Le XVIIe siècle n'offre
d'abord qu'une confusion extrême : l'âge précédent se prolonge dans celui-ci,
et la limite est difficile à marquer. Le XVIIe siècle commence dès 1600
avec Malherbe; par Montchrestien et d'Aubigné, le XVIe siècle
s'étend jusqu'à 1620 et même 1630. Dans cette confusion féconde et puissante,
où ce qui naît se mêle avec ce qui finit, quelques faits généraux se laissent
distinguer. Dans la littérature, comme ailleurs, les passions politiques
et religieuses s'amortissent; l'amour de la paix, de l'ordre, de l'unité,
impose la monarchie absolue. Un grand courant de libertinage, philosophique et
mondain, apparaît, et, en face, un fort mouvement de renaissance catholique,
qui trouve d'illustres représentants, particulièrement à Port-Royal
A l'Hôtel de Rambouillet se
constitue une société polie, qui prépare un public et un joug, aux écrivains.
L'esprit mondain, se combinant avec l'influence italienne transmise
du XVIe siècle et avec l'influence espagnole qui va tout envahir, produit
le goût précieux, dont le goût héroïque et le goût burlesque ne sont que des
formes extrêmes. Sous cette pression, la littérature s'éloigne du naturel à la
recherche du fin, du grand, du bouffon, c'est-à-dire toujours du rare et de
l'étonnant. Cependant, l'art classique s'organise peu à peu, sur le double
principe de l'observation morale et de la régularité formelle. La philosophie
cartésienne opère d'abord comme un auxiliaire de l'art classique et de la
religion, en attendant qu'elle aide à les dissoudre : par le goût du vrai, le
respect de la logique et de la raison, l'intérêt donné aux choses de l'âme,
elle aide l'esprit classique à se dégager du lyrisme et du précieux. Enfin, la
langue épurée par Malherbe, nuancée et raffinée par l'effort du monde précieux,
achève autant qu'il est possible, de se fixer par le travail réfléchi de
l'Académie française, de Vaugelas et des grammairiens. Elle accroît
sa richesse intellectuelle en perdant de sa variété pittoresque et de son
énergie.
Les genres.
Dans la poésie agonise
l'inspiration lyrique. Malherbe, esprit net et discoureur éloquent,
ouvrier excellent de la langue et du vers, est combattu par Théophile, suivi
par Racan, tous les deux plus poètes et plus naturels que lui.
En Voiture se consomme la transformation du sentiment poétique en
esprit précieux. La galanterie fine envahit la poésie. Mais Saint-Amand, tour à
tour éperdument fantaisiste ou crûment réaliste, grand peintre de paysages et
d'intérieurs, et Scarron, l'auteur du Virgile travesti, qui pour
dix ans mit le burlesque à la mode, montrent deux natures diversement
originales et puissantes : le premier est plus artiste et moins vulgaire, même
en ses grossièretés.
Le roman, après avoir
contribué par l'Astré à former l'esprit mondain, n'en est plus que le reflet
affaibli : pastoral, non sans poésie, avec d'Urfé, exotique sans pittoresque
avec Gomberville, historique sans vérité avec La Calprenède et Mlle
de Scudéry, il s'oriente vers la description morale et l'analyse des
caractères, sans renoncer aux aventures incroyables et aux sentiments hors
nature. Il ne produit, hormis l'Astrée, que des oeuvres interminables et
médiocres, oeuvres de mode incapables de survivre à la mode. En face de ce faux
idéalisme se pose le roman, qui traduit la réalité commune, réaliste chez Sorel (Francion),
burlesque chez Scarron (Roman comique).
Misérable est l'épopée. Malgré les
sujets modernes et nationaux, elle n'a rien de national ni de moderne :
asservie à l'imitation inintelligente de l'Enéide et de la Jérusalem
délivrée écrasée sous les règles, remplaçant le sentiment de la nature par un
faux goût décoratif, elle ne produit que des ouvres pédantesques, pompeuses et
froides (le P. Lemoyne, Scudéry, Chapelain, Desmarets).
Au contraire, le théâtre s'organise et donne des chefs-d'oeuvre. Au début, confusion et inégalité, avec Hardy, qui continue à produire. Racan, à défaut de dramatique, met de la poésie dans la pastorale. Vers 1630, le public a pris goût au théâtre, et Rotrou, Du Ryer, Scudéry, Corneille, Tristan apparaissent. Leur aîné, Mairet, apporte les règles des trois unités, qu'il emprunte aux Italiens et donne pour les règles des anciens; Chapelain, puis d'Aubignac l'aident à les imposer. Le triomphe des règles assure celui de la tragédie; la pastorale, puis la tragi-comédie s'éliminent. Rotrou a mis de la fantaisie, du lyrisme dans la folle intrigue tragi-comique; Corneille, dans la tragi-comédie du Cid, découvre la tragédie. Il lui donne sa forme, enfermant, dans une action soigneusement graduée, une étude serrée de la psychologie humaine, et posant l'intérêt dramatique dans le conflit des caractères. Il remplit ses oeuvres d histoire et de politique, et surtout expose sa conception originale de la volonté souveraine, d'où il tire le sublime de son théâtre. Son exemple conduit Rotrou à écrire quelques belles tragédies poétiques et passionnées. La comédie ne se débrouille pas encore : tour à tour précieuse, lyrique, bouffonne, caricaturale, intriguée, elle a peine à se distinguer de la tragi-comédie, de la pastorale et de la farce : Corneille, dans le Menteur, en définit du moins le ton et donne un modèle de dialogue comique.
La prose a été réglée
par Balzac, qui coule des lieux communs de morale et
de politique dans une large phrase oratoire : sa pensée ne remplit
pas sa forme. Descartes, qui a la pensée, n'a pas l'art. Enfin, la forme
et l'idée se rejoignent au milieu du siècle dans Pascal. Il apporte
aux jansénistes, contre les jésuites, le secours de son génie âpre,
fait de méthode et de passion. Les Provinciales par leur logique vigoureuse
et leur agrément infini, marquent la perfection de la prose française. Puis, se
retournant contre les libertins et mettant au service de sa foi toutes les
ressources de l'esprit scientifique et de l'analyse, Pascal prépare
une Apologie de la religion chrétienne, dont les fragments, incomplets,
obscurs et profonds, d'une inépuisable richesse de pensée et d'une beauté de
forme incomparable, fourniront le livre des Pensées.
Deuxième période (1660-1715)
Un grand changement se fait voir
après 1660, vers le temps où Louis XIV commence à gouverner par
lui-même. Par l'adoration qu'il excite, il absorbe le patriotisme dans le
sentiment monarchique, et, par son despotisme jaloux, il éteint
l'esprit politique. L'inspiration chrétienne domine et oblige le libertinage à
se cacher, jusqu'à ce qu'il reparaisse à la fin du règne sous ses deux formes
de débauche élégante et de libre philosophie. La préciosité des ruelles
fait place à l'esprit de cour plus simple et plus fin; une nouvelle préciosité
de salon renaîtra vers la fin du siècle, combinant la philosophie avec le bel
esprit. Mais le grand fait de cette période est que l'art classique achève
de s'y organiser : un petit groupe de grands écrivains, réagissant contre
l'esprit précieux et dépassant l'esprit de cour, ramène
la littérature à la raison, c'est-à-dire à la vérité, à la peinture
exacte et simple de la nature. S'affranchissant des
influences italiennes et espagnoles, qui s'écartent de la
nature, ils vont aux anciens, où ils trouvent la vérité dans la beauté. A cette
école qui, autour de Boileau, réunit Racine, La Fontaine,
et Molière, se rallient les plus grands des prosateurs
: Bossuet, La Bruyère, Fénelon, que leur goût personnel conduit
à prendre pour mot d'ordre vérité et Antiquité.
Les genres.
Dans la poésie, le lyrisme est
éteint. La poésie galante et spirituelle, de cour ou de salon,
pullule Benserade en est le meilleur représentant avec Mme
Deshoulières, et plus tard l'abbé de Chaulieu. La Fontaine, dans
ses Fables, se tire hors de la poésie à la mode, et fait tenir dans le
petit cadre du genre une riche substance morale, pittoresque et
lyrique. Boileau, réaliste un peu vulgaire, moraliste assez banal, dans
ses Satires et ses Epîtres, crée la véritable critique, qui est
l'application d'une esthétique, et donne dans l'Art poétique les
lois de l'art classique.
La comédie se dégage
avec Molière. De la farce par laquelle il débute, il tire une
comédie de moeurs et de caractère, où le comique puissant enveloppe une
conception originale de la vie. La comédie de caractère qu'il a créée meurt
avec lui. Regnard, sans observation pénétrante, donne des comédies
spirituelles, où la gaieté va jusqu'au lyrisme. Dancourt fait une
comédie réaliste, appliquée, sans intention morale, à l'expression de réalités
basses. Le Sage, par le ramassé de l'observation et l'énergie de
la satire, élève ce genre presque à la hauteur de la comédie de caractère.
Dans la tragédie, la politique
de Corneille est délaissée. L'amour s'y substitue comme matière
tragique. Quinault offre l'analyse du sentiment tel qu'il peut éclore dans la
vie artificielle de la cour. Racine, à l'aide des anciens, remonte à
l'amour passionné, et offre d'admirables tableaux poétiques, où l'histoire et
la légende, artistement évoquées, encadrent les fureurs et les crimes de
l'amour; sans changer la forme tragique que Corneille avait constituée, gardant
l'action rapide et l'analyse serrée, il a trouvé dans la passion de l'amour le
moyen de rendre à l'oeuvre dramatique le caractère pathétique et touchant que
la tragédie française semblait perdre. Mais autour de lui, et après lui, ni ses
rivaux, comme Pradon, ni ses disciples, Campistron, Lagrange-Chancel, ne
comprennent son art leurs tragédies, froides et fausses, sacrifiant la vérité
des sentiments à la nécessité de l'intrigue, montrent la décadence du genre,
qui ne semble se relever parfois qu'en inclinant vers le mélodrame et le
spectacle.
Dans la prose,
le roman se resserre et se raffine avec Mme de La Fayette, dont
l'analyse est pénétrante et originale. Puis il évolue, à travers des oeuvres
médiocres, mémoires apocryphes et prétendues histoires, vers une peinture plus
particulière des moeurs et des milieux, remplaçant peu à peu l'analyse par la
sensibilité. Sous le roman héroïque ou noble vit toujours le roman réaliste et
satirique avec Furetière, et, tout à la fin du règne, avec Le Sage,
qui donne ses premières esquisses de moeurs.
Deux genres neufs se développent,
appropriés au goût du siècle pour l'observation morale : les maximes et les
portraits. La Rochefoucauld, dans ses Maximes, recherche
l'amour-propre de l'homme dans toutes ses actions. Les Pensées, extraites
des papiers de Pascal, se présentent comme l'oeuvre d'un profond moraliste
chrétien. Enfin, La Bruyère, dans ses Caractères, sans système ni
originalité philosophique, étudie et note avec exactitude, dans un style très
travaillé et ingénieux, les expressions sensibles du caractère et du sentiment
intérieurs.
L'éloquence religieuse manifeste la
puissance de l'esprit chrétien avec Bossuet, plus poète et plus
philosophe, Bourdaloue, plus exclusivement moraliste et
analyste, Fénelon, plus spontané, familier et sensible. Mais le déclin se
manifeste dans la rhétorique élégante de Fléchier, puis dans la rhétorique
philosophique et sentimentale de Massillon.
Cependant, la vie intense du
catholicisme et le talent de quelques ecclésiastiques ont conquis pour un temps
à la littérature les provinces de la théologie et de la
controverse. Bossuet fait lire au monde les sévères discussions de
son Histoire des variations et de ses Avertissements aux
protestants. Fénelon et lui l'occupent de leurs aigres et éloquentes
polémiques sur le quiétisme. Soumettant l'histoire à la théologie, Bossuet
donne le Discours sur l'histoire universelle. Malebranche mêle
son catholicisme mystique et l'idéalisme cartésien, et charme le
public en inquiétant les théologiens par l'essor hardi de sa pensée.
Si les historiens, les Dupleix, les
Mézeray, les Daniel, ne donnent rien que de médiocre, les hommes d'action, les
femmes même laissent des mémoires intéressants. La
Rochefoucauld, Mlle de Montpensier, Mme de Motteville, Louis
XIV même, Mme de La Fayette, Fléchier, Mme de Caylus, sont à lire :
le cardinal de Retz les domine tous par la vie de ses récits et la profondeur
de ses portraits. Saint-Simon regarde et n'écrit pas encore.
Le talent de la conversation,
développé par la vie de société, produit une littérature
épistolaire riche et exquise. Parmi les lettres de Racine,
de Fénelon, de Bussy-Rabutin, de Saint-Evremond, se distinguent
celles de deux femmes, la raisonnable Mme de Maintenon, et surtout la
vive, intelligente et ardente Mme de Sévigné, dont la correspondance a
pris place parmi les chefs-d'oeuvre du siècle.
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