jueves, 25 de febrero de 2016

Histoire de la Tragédie

Histoire de la tragédie

La tragédie grecque

On se perd en conjectures sur l'origine de la tragédie : son nom, tragôidia(littéralement, « chant du bouc »), semble renvoyer à des improvisations religieuses liées au culte de Dionysos, ce que confirme le fait qu'à Athènes les tragédies étaient représentées uniquement à l'occasion des fêtes consacrées à ce dieu (les dionysies) et dans le cadre du théâtre qui lui était dédié. Mais on ignore ce qui a permis le passage de textes courts à forte teneur religieuse à une forme d'expression véritablement littéraire, qui emprunte sa matière à l'épopée tout en faisant passer ses mythes (religieux et légendaires) au crible des nouvelles valeurs civiques et juridiques de la démocratie athénienne. Ce qui est sûr, c'est que la forme de la tragédie se fixe définitivement au cours duve s. avant J.-C., lorsque, avec Eschyle, la partie dialoguée (donc l'intrigue dramatique) prend le pas sur la partie chantée dévolue au chœur, et issue dudithyrambe primitif.

L’histoire de la tragédie grecque ne se réduit pas aux deux dates rapprochées qui séparent les Perses d'Eschyle (472 avant J.-C. ; première tragédie conservée) d'Œdipe à Colone de Sophocle (401 avant J.-C. ; dernière tragédie conservée). Eschyle n'est pas le premier auteur tragique. Vers le milieu du vie s. avant J.-C., l'Athénien Thespis aurait donné forme à la tragédie en remplaçant le chanteur des origines, le coryphée, par un acteur qui jouait, en face du chœur, un ou même plusieurs rôles. D’autres également précédèrent Eschyle, tels Pratinas, Phrynichos. Sophocle etEuripide, qui ont écrit une centaine de pièces chacun, ont eu aussi des rivaux (Ion de Chios, Néophron, Nicomaque) et ont été suivis par notamment Critias, Agathon et Cratinos. Des fragments de tragédies de plus de deux cents auteurs et seulement quelque trente pièces intégrales des trois grands auteurs grecs (Eschyle, Sophocle, Euripide) ont pu être conservés.
La tragédie attique se caractérise par une structure forte, composée de passages dialogués et de passages chantés. Eschyle et Sophocle font définitivement de la tragédie une action dialoguée en ajoutant respectivement un deuxième puis un troisième acteur. Un prologue précède l'entrée du chœur (la parodos). L'action se développe ensuite en trois épisodes entre lesquels le chœur chante les stasima et se termine par l'exodos (exode). Le texte est réparti entre le chœur, placé dans l'orkhêstra, qui commente l'action et se plaint, et les acteurs qui agissent sur scène.

La tragédie latine

Entrée en décadence dès le début du ive s. avant J.-C., la tragédie attique est imitée, à Rome, par Sénèquenotamment, seul auteur dont nous possédons des œuvres entières. Des fragments de tragédies de Livius Andronicus, de Naevius, d'Ennius (iiie s. avant J.-C.), de Pacuvius et d'Accius (iie s. avant J.-C.) nous sont parvenus, et l'usage d'écrire des tragédies fut préservé dans l'Empire romain, ne fût-ce qu'à titre d'exercice scolaire.
La pratique du genre ne fut interrompue que durant le Moyen Âge. Mais, sitôt cette tradition redécouverte par les hommes de la Renaissance italienne, la tragédie attire l'attention des lettrés, qui, ayant traduit Sénèque, créent des œuvres originales (mais d'inspiration sénéquienne) en Italie puis, à partir du milieu du xvie s., en France et dans toute l'Europe. Seule l'Espagne reste à l'écart, attachée à la comedia, forme souple qui accueille les sujets les plus légers comme les drames les plus noirs. Partout ailleurs, c'est une véritable floraison de la tragédie, non seulement dans chacune des grandes langues nationales, mais aussi en latin.

Le théâtre élisabéthain


Entre l'avènement d'Élisabeth Ire (1558) et l'ordre du Parlement de fermer les théâtres (1642), l'expression dramatique fait l'objet en Angleterre de l'engouement d'un vaste public, à la cour comme en ville, malgré l'opposition des puritains. Plus de 1 000 pièces sont enregistrées entre 1580 et 1642, dues à une multitude d'auteurs, parmi lesquels Thomas Kyd (1558-1594), George Chapman (1559-1634), Christopher MarloweJohn MarstonBen JonsonThomas DekkerFrancis BeaumontJohn FletcherJohn Webster,John FordJohn Lyly, dominés par la figure de William Shakespeare.
Tout en faisant la part belle au tragique, le théâtre élisabéthain ne lui réserve pas de forme spécifique. L'essentiel, pour les dramaturges, est d'exprimer des vérités du cœur et de l'esprit et de refléter le spectacle du monde. Les secousses de la monarchie anglaise et la dégradation en cynisme des vertus héroïques s'y peignent donc, et tragiquement. Les autres caractères de cette dramaturgie – mélange du tragique et du bouffon, prédilection pour la violence et pour le thème de la vengeance, angoisse métaphysique dissimulée sous un appétit forcené de jouissance et de connaissance, mélange de truculence verbale et de raffinement poétique – étendront leur influence sur le continent après deux siècles, contribuant à l'extinction des formes classiques « pures ».

La tragédie française

Bien que le protestant Théodore de Bèze ait écrit en 1550 la première tragédie originale française (Abraham sacrifiant), la tragédie moderne naît en France en 1552, avec la Cléopâtre captive d'Étienne Jodelle. Sur le modèle de Sénèque, Jodelle invente, en s'inspirant des Italiens, la « tragédie humaniste », fondée sur une esthétique à laquelle resteront fidèles tous ses successeurs (notamment Robert Garnier et Antoine de Montchrestien). Le sujet de la tragédie demeurera immuable sous la variété des histoires, et la manière de le traiter restera la même : tout étant déjà joué, la pièce montre le malheur en marche à travers les débats rhétoriques, les réflexions philosophiques et morales, les plaintes lyriques, les récits élégiaques ou pompeux et les chants du chœur, qui débouchent sur le dénouement funeste. Visée morale, statisme, juxtaposition de tableaux plutôt qu'enchaînement rigoureux de scènes, très forte charge poétique et régularité sont donc les traits dominants de ce type de tragédie.
Conçue par et pour une élite, la tragédie humaniste n'a pas survécu au contact des représentations populaires : elle perd son caractère statique (les chœurs sont les premiers à disparaître) au profit de combats, de suicides, de viols, de mutilations, de meurtres… – le goût pour ces scènes violentes entraîne une modification dans le choix des sujets, désormais souvent empruntés à l'actualité, aux nouvelles et au roman –, en même temps qu'elle rompt avec les règles de l'unité d'action et de temps. Ce qu'on appellera après coup la tragédie irrégulière tend donc à substituer l'action à la déploration.
La fin du xvie s. voit également l'invention capitale d'un nouveau genre : la tragi-comédie, qui, tout aussi irrégulière, puise constamment dans la littérature romanesque, et partant déroule des aventures héroïques et amoureuses, où la mort n'est qu'un risque et où le dénouement est systématiquement heureux. D'égale importance fut l'importation d'Italie, à la même époque, de la pastorale, qui a l'amour pour unique enjeu et où l'action est fortement structurée grâce au principe des amours en chaîne.

C’est dans ce contexte que les inventeurs de la tragédie classique(Jean MairetGeorges de ScudéryPierre CorneilleJean de Rotrou) imaginent une nouvelle forme de tragédie régulière en puisant aux mêmes sources théoriques que les auteurs de la Renaissance.Alexandre Hardy, le principal auteur de tragédies irrégulières et de tragi-comédies du premier quart du siècle, Théophile de Viau (Pyrame et Thisbé) et le seigneur de Racan (les Bergeries) – admirés pour leurs drames amoureux écrits dans une langue polie et poétique – servent de modèles aux premiers tragédiens classiques, qui commencent eux-mêmes leur carrière par des tragi-comédies et des pastorales. En même temps, ils établissent les principes de régularité et de vraisemblance, préconisés par les théoriciens à partir de 1630, tout en intégrant les apports tragi-comiques et pastoraux que constituent l'action et le mouvement, la psychologie et le conflit amoureux, l'expression d'une volonté de dépassement de soi engendrée par la passion. La Sophonisbe (1634) de Jean Mairet marque la naissance et la victoire. d'un genre tragique régulier.

Vers 1640, quand Pierre Corneille lance, aprèsle Cid, la série de ses pièces historiques, la tragédie devient non plus le récit d'une illustre infortune, mais la mise en scène d'une action héroïque face à un conflit politico-amoureux et sous la menace d'un péril de mort : désormais, l'issue funeste n'est plus une nécessité. Même si par la suite Jean Racine substitue la passion à l'action héroïque, il ne conçoit jamais la tragédie comme une déploration, mais comme une intrigue qui progresse au rythme des affrontements et des coups de théâtre. En définitive, si opposés qu'ils puissent être par ailleurs, Corneille et Racine fondent leur dramaturgie sur une conception du genre tragique qui n'est plus celle de l'écrasement de l'homme, mais celle des conflits intérieurs insolubles, dont les héros ne peuvent se libérer que par le dépassement généreux ou par la mort.
Parmi les auteurs de la tragédie classique figurent également Tristan L'HermiteIsaac Du Ryer, Claude Boyer, Philippe Quinault et Thomas Corneille. Après l’avènement de ce genre au xviie s., les imitations duxviiie s. (CrébillonVoltaire, Népomucène Lemercier) ne parvinrent pas à en ranimer le souffle.
Au xxe s., la tragédie grecque est redevenue un modèle ou une nostalgie pour quleques auteurs comme Paul ClaudelJean CocteauJean GiraudouxJean Anouilh. Mais les dieux sont morts et, malgré les efforts d’Albert Camus et de Jean-Paul Sartre pour opposer à la tragédie de la fatalité une tragédie de la liberté, le genre, âprement critiqué par Berthold Brecht, n'a pas retrouvé la communion ou l'angoisse collective nécessaire à son épanouissement.

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